Quand je serai mort·e, j'aurai été
Du 20 octobre 2021 au 18 janvier 2022, j'aurai été en résidence d’«Écriture publique» au centre de diffusion d’art multidisciplinaire DARE-DARE. Empruntant la forme brève du slogan, du haïku, du tweet, de courtes phrases, aphorismes, poèmes ou questions sont diffusés pour une durée d’une semaine sur une enseigne lumineuse. Les textes sont ainsi rendus visibles, le jour et la nuit, pour des milliers de passants qui transitent près de l’abri mobile du centre d’artistes.
Je ne suis jamais morte sauf de rire, d’ennui, de faim, d’angoisse, de froid, de honte, de soif, de fatigue, de désespoir, de plaisir. Je ne suis jamais morte, mais j’ai déjà eu peur, j’ai parfois eu hâte, j’y ai pensé, à la mort, je l’ai redoutée, je l’ai cherchée, je l’ai fuie comme la souris le chat. Je sais qu’elle me rattrapera. Quand je serai morte, j’aurai été une fille, une amie, une marraine, j’aurai été amoureuse, j’aurai été. Le futur antérieur, qui marque l’aspect accompli, terminé, d’un événement futur à un moment déterminé, sert à situer un événement qui arrive avant un autre dans l’avenir.
L’artiste français Christian Boltanski évoque ses morts avec seulement leurs dates de naissance et de mort (Mes Morts, 2002), comme si toute une vie était contenue dans ce tiret entre deux années, un peu comme l’épitaphe résume la vie d’une personne décédée en quelques mots. L’épitaphe est une empreinte, une trace. C’est à la fois l’inscription et la tablette de pierre qui la reçoit. Dans la Grèce antique, c’est un genre littéraire, un éloge funèbre ancien. Aujourd’hui elle correspond surtout à l’inscription qui identifie simplement la personne qui occupe une sépulture. Ce n’est pas tout le monde qui en a une.
Le rapport que les gens entretiennent avec la mort, avec la leur surtout, m’interroge : infléchit-il leur manière de mener leur vie ? J’ai envoyé à une quinzaine de créateur·ice·s de mon entourage un questionnaire à travers lequel je les invitais à réfléchir à la place qu’occupe une certaine pensée de la mort dans leur vie et dans leur démarche artistique ou d’écriture. J’ai puisé les douze phrases de cette résidence dans leurs réponses, afin de faire de l’enseigne lumineuse, le temps de mes semaines de création, une sorte de faux tombeau anticipatoire, une inscription ante mortem des ambitions, des craintes ou des désirs de douze vies condensées, traduites, dans les formules-épitaphes affichées.